jeudi 1 février 2018

Jean Giono - Evocations lyriques de la vie paysanne.

En 1911, Giono doit quitter le collège, en seconde, pour travailler et contribuer à la vie de la famille. Il devient employé de banque à Manosque. La banque sera son cadre de travail jusqu'à la fin de 1929, année de la publication de Colline et de Un de Baumugnes.
Fin 1914, Giono est mobilisé. En 1916, il participe aux combats, batailles de Verdun, du Chemin des Dames, du Mont Kemmel où il est légèrement gazé aux yeux. Il découvre l'horreur de la guerre, les massacres, un choc qui le marque pour le reste de sa vie. Il évoquera cette douloureuse expérience dans Le Grand troupeau, ainsi que dans ses écrits pacifistes des années 30.
Dans les années d'avant la seconde guerre, Giono milite activement pour la paix. En 1939, il est arrêté et emprisonné pour pacifisme ! Il bénéficiera deux mois plus tard d'un non-lieu.

Le poids du Ciel, écrit en 1938, est un plaidoyer pour la nature, contre la guerre et les dictatures. 
Alors que la traction animale était à cette époque à la base des travaux des champs, Jean Giono réaffirme l'idéal de la communauté rurale et appelle à une révolte contre la société industrielle capitaliste, contre la ville et le machinisme "qui détruisent les vraies richesses". 
Pierre de Boisdeffre dans son livre Giono, résume Le Poids du Ciel en ces mots : "Ces essais prolongent la méditation des Vraies richesses, la critique du machinisme et l'exaltation de la vie naturelle (...) Prise dans la danse des machines, l'âme déserte le corps de l'homme, elle habite maintenant dans le métal, elle inspire des techniques inhumaines. Mais, dans les montagnes, des artisants et des coupeurs de blé continuent de faire vivre la civilisation paysanne, qui sait "utiliser les choses célestes avec un goût animal".
Ses romans enthousiasment la jeunesse.
A la lecture de ses premiers écrits, Giono avait acquis une image de "sorte de prophète" image qui s'est consolidée à la sortie du livre Que ma joie demeure en 1935. 
Ci-dessous 6 morceaux choisis et lus par Denis Podalydès de La Comédie Française.
Source : Biographie de Jean Giono

Le Poids du Ciel - Chapitre 1° Danse des âmes modernes_1 Jean Giono

Il est donc revêtu de ces forêts, et il est revêtu de toute la vie paysanne. Il est un archange animal qui est la vie paysanne même, avec ces villages perdus dans l'épaisseur des vergers qui est une verdure grasse et domestique ; les arbres ayant tous été taillés suivant des formules personnelles et arrangés suivant le goût de chacun. On aperçoit à travers les branches les maisons crépies à la chaux avec leur grand toit d'ardoise, et les galeries de bois sculptés qui vont des chambres au grenier. Tout ça avec la même marque personnelle du goût et de l'instinct et de la réflexion de chacun si bien que les arbres et les maisons sont marqués de la même marque. Et voilà d'ailleurs l'homme dans le chemin vers la fontaine avec ses seaux ; ou bien il fait des pas dans le verger, et il ramasse des pommes tombées par terre, et on voit tout de suite que cette maison est à lui, que ce champ est à lui, et que tout est à sa mesure. Pas une herbe dont il ne sache toute l'histoire depuis le plus imperceptible craquement de la graine quand le tégument s'élance jusqu'à la fleur, jusqu'au gonflement du fruit, jusqu'à l'épis, jusqu'à la grange, jusqu'au cuveau. Et même cette herbe là qui est soit disant inutile, et fleurie toute seule le long du chemin, et toutes celles qui composent la diversité des prés ; et les arbres : il connait comment sont les racines et où elles vont. Les fruitiers et les non-fruitiers c'est à dire ceux dont les fruits sont pour nous que nous appelons fruitiers ; et il rit en disant ça et il montre franchement ce rigolard égoïsme humain dont il se moque ; et ceux que nous appelons non-fruitiers parce que les fruits de cela sont pour les animaux de la terre. Il connaît l'histoire de tout le monde végétal étant donné que c'est son métier, que son métier précisément c'est d'avoir la mémoire toute pleine de ces herbes et de ces arbres, et de les voir tout le temps vivant devant lui ; aussi bien pour le travail qu'ils font dans la terre que pour celui qu'ils font à la pointe extrême des rameaux ; car son métier c'est de comprendre la logique de ce monde et d'en être le maître après Dieu. Ça n'est pas un métier fabriqué et qui fabrique : c'est un métier qui aide la nature, qui la pousse gentiment de ce côté plutôt que de celui-là. C'est la force cordiale de l'homme qui taille librement sa part dans les Vergers de Dieu. Au lieu d'aller cueillir les faines de branche en branche comme l'écureuil, et bien, mes faines à moi je les fais pousser tout près de moi près de mon nid, et plus grosse que les sauvages. Voilà tout ! Voilà toute ma raison d'être qui est celle de simplement vivre sur cette Terre. Voilà ce qu'il dit. Peut-être pas avec sa voix parce qu'il n'est pas ce qu'on appelle un gros parleur. Mais il le dit par sa démarche et sa façon qu'il a de goûter l'eau des fontaines au creux de sa main, et de mâcher après comme si c'était un bon morceau. Et il sait alors d'où vient cette eau. Si son oeil n'est pas assez puissant pour voir à travers la montagne, ses sens sont d'une puissance presque divine. Il le dit par le moindre de ses gestes et sa façon de se planter là tout rêvant, debout dans les champs qu'il a travaillés, et de poser son regard sur toute chose en tournant lentement la tête ; il le dit par son mouvement de tête qu'il a souvent : de droite, de gauche, puis de haut en bas se rendant compte des choses dans leur largeur et dans leur grandeur, avec des sens si divins que les savants ne font qu'arriver au même résultat par de plus grands détours, confrontant les forces du monde à sa force, se rendant compte qu'il est de la même taille que les plus grands objets de l'univers. Ce qui donne quand même une assez belle gloire aux mains et aux bras ! Qu'est-ce que vous en dites ? Quand on se redresse de dessus son travail qui est de travailler la terre, et qu'on se repose un moment, ayant posé le bras replié sur la béquille de la bêche pendant que toute l'ordonnance du monde tourne autour de vous, que vous avez autour de vous ces horizons qui ont déjà contenu tous vos ancêtres ; pendant que vous êtes en train de vous dire : ça c'est mon atelier.